vendredi 12 juillet 2013

La Horde du Contrevent d'Alain Damasio


Coucou les amis c'est moi, oui moi, moi qui fais un article tous les quatre mois à peu près uniquement lorsqu'il fait beau, que c'est vendredi, qu'on a mangé des patates et que j'ai un truc intéressant à dire. Autant dire que c'est rare quoi.

Et justement aujourd'hui il se trouve que j'ai fini de lire un bouquin qui s'appelle La Horde du Contrevent, de l'auteur qui m'était malheureusement jusqu'alors inconnu, Alain Damasio. Et alors? Et alors : WOAW.
Et encore. J'aurais volontiers écrit mon woaw en caractères qui clignotent et scintillent dans la nuit, avec des couleurs encore plus dégueulasses vertes et jaunes fluos comme on en faisaient avant sur nos skyblogs, pour bien marquer les esprits. C'est dire.

Mais passons directement au vif du sujet. (hahaha. Je rigole toute seule car c'est une référence à l'oeuvre. Enfin bref. Ce qui connaissent déjà sauront. Ou pas. Peut être. Bon tant pis. je mourrais seule et incomprise avec mes 33 chats . pi vlà . )

ouaip j'ai fait voler la feuille pour coller à la thématique. Mate un peu ce professionnalisme!

zi story
 Bon, accrochez-vous parce que c'est pas simple. Pour commencer rien de vaut le petit copier-coller de base :

Ils sont 23, forment la 34ème Horde du Contrevent et ont entre 27 et 43 ans.
 Dans un monde balayé par les vents, ils ont été formés depuis l'enfance dans un seul but : parcourir le monde, d'ouest en est, de l'Aval vers l'Amont, à contre-courant face au vent, à travers la plaine, l'eau et les pics glacés, pour atteindre le mythique Extrême-Amont, la source de tous les vents.
Tous différents mais tous unis, ils forment une horde autonome et solidaire, qui avance dans un seul objectif, luttant constamment contre le vent. Profitant du savoir et de l'expérience de huit siècles d'échecs, on la dit la meilleure et l'ultime Horde, celle qui atteindra enfin l’Extrême-Amont.


Déjà, moi je sais pas vous, mais rien qu'à entendre le résumé, j'en avais l'eau à la bouche. C'est vrai quoi, un roman entièrement construit autour d'un seul élément, un élément tout bête, simple, un élement qui pour nous est tellement banal qu'il ne représente plus rien : le vent, 700 pages sur le vent, quand même, c'est pas rien quoi, ça vous coupe... le souffle.

Le roman est tout d'abord original de par son fond, son histoire, mais aussi de par sa forme : il est construit selon une narration alternée des personnages. Ce système de récit à plusieurs voix permet une expérience de lecture particulièrement époustouflante : elle donne de la profondeur, déjà, à l'univers créé, aux personnages, à cette quête un peu (beaucoup) folle ; de la dynamique ensuite : on ne s'ennuie pas, le point de vue change constamment, on s'attache aux personnages qu'on a l'impression de connaître intimement, on s'attache à leur façon de parler et de penser particulière.
Ce bouquin est tellement riche, c'est dingue : on voit qu'un immense travail a été fait sur les personnages, l'argot si caractéristique de Golgoth, la pensée fluide d'Aoi, Caracole et son lyrisme à vous clouer le bec, pour ne citer qu'eux...

Pour autant, le bouquin n'est pas alourdi par ses changements de narrateurs : il est ardu à lire, c'est vrai (nous y reviendrons un peu plus loin) mais fluide, car Alain Damasio a inventé tout une technique de symboles auxquels se référer pour savoir qui parle : au début du paragraphe, par exemple, un Ω indique que Golgoth a la parole, un π pour Pietro Della Rocca, un ) pour Sov Strochnis...

On s'y perd pas mal au début j'avoue, à devoir toujours chercher cékiki parle, c'est un peu fatigant. Mais on prend rapidement le pli, au point qu'on en vient à ne même plus consulter le marque-page, voire à regarder à peine le symbole de début de paragraphe tant les caractéristiques du langage des personnages nous sont désormais évidentes.

 
Les symboles en fait, correspondent à la fonction des personnages dans la Horde ou leur personnalité, pour en faciliter la compréhension. Par exemple, l'oméga de Golgoth évoque sa carrure imposante, le pi de Pietro, ressemble à une couronne sur une tête car il est prince. La parenthèse de Sov peut faire penser à une plume de scribe... Oui je me suis renseignée avant /minutecultureoff/

D'autre part, pour en finir avec l'originalité du bouquin, la numérotation des pages est inversée. Ce qui fait que le livre commence à la page 700, et finit à la 0
Rappelons que nos chers hordeux cherchent à remonter en Extrême-Amont afin de trouver l'origine du vent qui les accable sans cesse depuis la nuit des temps, et d'espérer avoir une réponse au sens de tout ce barda. Cette numérotation inversée est donc fichtrement bien pensée, car avec eux, on remonte à l'origine nous aussi. Le zéro.


Beaucoup insistent sur le caractère difficile du bouquin. A savoir : c'est vrai. et tant mieux.

L'auteur, dès la première page, emploie toute une tapée de vocabulaire spécifique au vent, de vocabulaire dont nous n'avons pas l'habitude : entre les contre par-ci par-là, les furvents à droite à gauche, les formations en goutte, le crivetz, le slamino en veux-tu en voilà, le boo, la fonction particulière des personnages de la horde : traceur, fleuron, feuleuse, les crocs... Et en plus, avec l'argot de Golgoth, les jeux de mots de Caracole...
Bref, dès le début, on est lâchés sauvagement dans ce monde dévastés par les vents. Avec Damasio, pas de progressif. Tu ouvres le livre, tu commences à lire : tu te prends une claque.

Autant dire que si vous n'êtes pas du genre à savoir en chier un peu pour mériter quelque chose, vous n'êtes pas prêts, comme dirait l'autre.

Le fait de ne rien comprendre dans les premières pages du bouquin est parfaitement normal : comme les Inuits savent distinguer trouzmille nuances de neige que nous ne verrons jamais, les Hordeux, eux, sont soumis à un vent tel qu'ils ont développés tout une flopée de mots pour le décrire. Le vent a 9 formes. Ils ont des techniques particulières pour le contrer, des armes particulières, des façons de concevoir les choses propre au monde auquel ils sont soumis.
Ne rien comprendre au début est donc même je dirais nécessaire : c'est la claque, le choc qu'il faut, pour rentrer dans ce monde. Si on peine au début, très vite, en acceptant de ne pas se bloquer, de continuer à lire : le sens des mots nous apparaît clairement, peu à peu, on en déduit le sens, on arrive à les concevoir. Laissez faire l'imagination, et peu à peu, vous serez immergés. Complètement.

Je pense que le fait que le bouquin ne soit pas accessible de prime abord est un mal pour un bien. La Horde du Contrevent lutte contre cette force surpuissante qu'est le vent, elle lutte contre les bourrasques, contre le furvent, contre tout. Elle en chie, c'est pas simple, mais quel bonheur, oui quel bonheur, c'est intense : n'est-ce pas ce que nous-mêmes ressentons en lisant? Par son écriture, Damasio nous fait éprouver des merveilles, qui nous rapprochent de la Horde.

 En première page, c'est comme si des bourrasques apportaient les lettres petit à petit sur le texte.

Le livre, à l'origine, se vend en grand format avec une bande-son l'accompagnant. J'ai malheureusement acheté le petit format (n'étant pas au courant), mais on peut trouver ces musiques sur Deezer par exemple. Le compositeur, Arno Alyvan, a voulu reproduire l'esprit de la Horde du Contrevent et l'esprit de certains passages. Je trouve qu'elles sont vraiment pas mal, à écouter avant la lecture, pour mettre l'eau à la bouche, pendant la lecture pour accompagner, ou après, pour faire durer le plaisir.



à lire au bord de la piscine?

 Ce qui est fou, c'est que le livre a une richesse telle, une richesse immense s'il est possible de dire ça, c'est dingue quoi : on en sort changé. Je dirais que ça ouvre l'esprit, ça fait voir différemment, et qu'est-ce que c'est beau. Ca fait un petit bout de temps que j'avais pas eu un truc comme ça sous la main.
La Horde du Contrevent, c'est quelque part entre la fantasy, la philosophie et la poésie
Sur le livre est écrit SF. A mon goût, ce n'est pas de la Science Fiction : ce n'est pas avant-gardiste, ce n'est pas de l'anticipation, c'est simplement ailleurs. Hors du monde, hors du temps, dans un espace/temps qui lui est propre, que l'auteur a su construire et rendre réel. C'est tellement dépaysant, que lever ses yeux du bouquin après des heures de lecture est une épreuve. Il faudrait un sas de décompression pour passer du monde qui est le nôtre à l'univers de Damasio.

Enfin, la quête de la Horde, plus que d'être les premiers à fouler l'Extrême-Amont, est finalement de trouver l'origine du vent et quel sens tout cela a. Le vent, ça peut être la vie. Ne sommes-nous pas des Hordeux qui cherchons tous le sens de la vie, qui voulons être les premiers à fouler cette terra incognita de la compréhension du monde?
Et puis le vent, c'est la voix, c'est la parole, le souffle qui sort de la bouche. Le travail d'écriture sur ce livre a dû être immense. Sinon, c'est que ce mec est un génie.


Un autre argument pour vous convaincre de le lire s'il vous en faut un dernier : j'y ai même laissé ma petite larme
Et ça, ça tu vois, tu sais qu'un bouquin est bon quand ça t'fait ça.


Voilà, j'ai pas dit tout ce que j'aurais vraiment voulu dire sur le livre, il y a tellement à dire et si peu à la fois, on a envie de tout dire en même temps, d'une seule voix, car ce bouquin est un tout indissociable.

 Je vais finir ici car je crois que l'article est pas mal long. Pour finir, j'espère que vous aurez envie d'y jeter ne serait-ce qu'un oeil, et surtout que vous aurez l'étoffe pour vous accrocher jusqu'au bout, ça vaut le coup. Ou au moins le conseiller à un de vos proches qui apprécie un peu le genre fantasy/SF/toussatoussa.
D'après mes sources très peu fiables, un projet de film d'animation serait en cours. Ca s’appellerait Windwalkers parce qu'ils trouvaient sûrement que La Horde du Contrevent faisait plus souag en anglais, moi j'trouve pas, m'enfin bon on m'a pas demandé mon avis. Ca sortira p'tet d'ici courant 2014/2015. J'croise les doigts.

Enfin, mais vraiment en fin cette fois-ci, Alain Damasio a prêté sa voix dans ce morceau de Rone qui s'appelle Bora Vocal. Ces paroles sont en fait extraites du journal intime qu'il tenait lors de l'écriture de La Horde du Contrevent : il y raconte ses difficultés, comment il incarne les personnages, sa raison d'être. Ce serait chouette que vous y jetiez un oeil, c'est simple et beau :

 « Y'a pas d'secret, pas d'secret, y'a une vérité avant... Simple, sobre, crue quoi, le truc fiou... Alain la Horde du Contrevent tu la réussiras uniquement quoi, uniquement si tu t'isoles, si tu t'isoles quoi, tu comprends c'que ça veut dire isole? Isola, l'île quoi... Tu crées ton île et tu, tu l'effaces au maximum quoi, il faut que les gens soient extrêmement loin d'toi, mais loin parce que, ton univers sera vaste, quoi, s'ra immense, s'ra énorme, il sera énorme l'univers quoi. L'énorme puissance d'univers quoi. 'faut Caracole il existe en toi complétement, que Sov Strochnis il soit toi quoi, que Pietro Della Rocca, il... tu l'deviennes. Et la goutte aussi, tout l'univers et tout l'vent, qu'tu vives complètement là-d'dans quoi... C'est ça qui faut, y'a qu'ça qui faut quoi. Et qu'tu restes collé au vent, collé au vent, collé au vent quoi. Et qu'tu t'battes, et que tu tu tu, tu fasses aucune concession sur le reste, tu oublies tout quoi, t'es pas consultant, t'es rien, le consulting c'est d'la merde quoi. La seule chose qu'y'a d'la valeur c'est, c'est quand t'es capable de faire un chapitre comme celui-là quoi. Ça ça restera, ça ça mérite que tu vives quoi, tu peux vivre pour écrire ça ouais. Ça ça mérite que tu vives quoi tu vois. Là là là t'es pas né pour rien, t'es nécessaire quoi. T'es pas surnuméraire, comme dirait Sartre, t'es pas superflu quoi...là là là t'as une nécessité quand t'écris ça quoi. T'as une nécessité d'être quoi. Et c'est ça qui faut t'nir mec, c'est ça qui faut putain d'tenir quoi, lâches pas l'morceau, t'fais pas enculer, t'fais pas disperser, t'fais pas fragmenter, fais pas de concession quoi. Y'a pas d'concession avec la vie quoi, y'a pas d'concession quoi. Tu vis, autant vivre à fond »


Et un dernier truc à lire si ça vous intéresse, c'est l'extrait d'un petit chose qu'il a écrit et qui se trouve dans le livret du CD Memento Mori du groupe Sliver, ça parle de notre société, des moyens de communication, de la technologie, toussa toussa et tout c'est cool.

700 pages
environ 9€ d'expérience inédite
paru en 2004
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